Ce travail est extrait d'un exposé réalisé en Avril 1997 par Nelly Béothéguy et Stéphane Pouyllau dans le cadre du cours de M. G. Louise.
Note : Pour notre étude nous utilisons le Cartularium Monasterii de Rameseia, II, p. 244 qui décrit le manoir d'Hemingford en 1279.
Bibliographie sommaire :
DUBY, G., L'économie rurale et la vie des campagnes dans l'occident médiéval, t. 1 et 2, Paris, 1977.
GUYOTJEANNIN, O., Archives de l'occident, Paris, 1991.
HALLAM, H.E., Rural England, (1066-1348), Brighton, 1981.
HARVEY, P.D.A., A medieval oxfordshire village : Cuxham, 1240 to 1400, Oxford, 1965.
RAFTIS, J.A., The estates of Ramsey Abbey, Toronto, 1957.
Ce système se développe en Angleterre particulièrement dans les domaines ecclésiastiques. En effet on assiste dès le milieu du XIIIe siècle à un retour du fermage dans toute l'Europe.
Ainsi, il faut en déduire que le sol en Angleterre est très encadré par le pourvoir ecclésiastique ou le pouvoir laïc.
Dans le Cartularium Monasterii de Rameseia, II, p. 244,nous pouvons lire à propos du manoir d'Hemingford : "nos hommes d'Hemingford".
Cela veut dire que le manoir est déjà aux mains de l'abbaye de Ramsey. Les hommes sont probablement des villains, car le niveau de dépendance est marquée par le "Nos". La prise en ferme de manoir par les hommes n'est qu'un changement "d'administration" du domaine.
En poursuivant notre lecture, nous comprenons que le manoir est mis à ferme avec toutes ses dépendances. Fait très important, cette clause permet de garantir la cohésion économique du manoir. En fait seul le système de gestion change. La continuité du travail est assurée.
Le bail a une durée de sept ans et : "à la fin des 7 ans, ils nous rendront le manoir...". La durée du bail est assez courte, elle correspond probablement à un cycle de culture local. Le désir de contrôle de l'abbaye doit être important et il y a sûrement une prise de conscience de la mobilité des prix et des systèmes de production. Mais il faut savoir que même si les contrats sur deux générations ont tendance à disparaître après 1250, certains baux peuvent être d'une durée de 24 ans.
Le fait que les hommes d'Hemingford "n'aient" que 7 ans pour faire fructifier le manoir prouve une chose : l'abbaye de Ramsey a besoin d'augmenter ses rendements en matière agricole. En concédant la gestion du manoir à ses hommes, l'abbaye a tendance à responsabiliser ces derniers. Ils ont intérêt désormais de produire plus pour pourvoir réaliser du "bénéfice". Pour ne pas avoir de dettes au bout des 7 ans quand ils rendront le manoir à l'abbaye. Ce qui nous mène avoir la réalité de l'autonomie des hommes.
L'abbaye garde pour elle certains droits : les plus intéressants sur le plan économique. En effet les revenus des banalités ou le bénéfice d'une église (revenu lié à une charge ou à une dignité ecclésiastique) sont bien plus important que l'exploitation d'une tenure.
Ceci veut dire que disparaît pour les hommes du manoir une part importante des revenus du manoir. Mais les restrictions sont encore plus grandes sur le plan banal.
Toute la première partie de la phrase veut dire que les hommes n'ont rien des différents revenus que peuvent rapporter ces prélèvements (l'aide et l'écuage étant une sorte de rachat du service armé). Ce qui prouve qu'ils n'ont pratiquement que le travail de la terre comme type de ressource.
De plus, ils n'ont visiblement une partie de la basse justice dont ils ne touchent que la moitié des amendes. "Les âcres du prévôt" : sont les terres du représentant de l'abbé de Ramsey. Le prévôt assure la direction économique et financière du manoir affermé. Le fait que les autres hommes du domaine ne touchent rien sur les terres du prévôt entraîne souvent des frictions entre les communautés.
Il est ensuite question du droit d'entrée sur la terre. L'abbaye, qui a déjà la propriété éminente, récupère la propriété utile de la terre à la mort de l'un des tenanciers. Le gersum étant le droit d'entrée sur une terre pour un nouveau tenancier. Grâce à ce moyen, l'abbaye de Ramsey ne perd rien des revenus que peut rapporter cette terre. La multiplication des droits d'entrée sur une terre entraîne de plus grand revenu pour l'abbaye. De plus, ceci empêche la transmission de façon héréditaire de la terre à l'intérieur d'une même famille.
Mais la suite est encore plus intéressante. Le cartulaire nous apprend que les hommes, probablement des dépendants sont fixés à la terre. Cette clause permet aussi un contrôle plus important des hommes d'Hemingford. L'autonomie des hommes est donc, sur un plan interne, réduite.
Mais elle fixe les tenanciers du manoir sur leurs terres, la mobilité des fermiers est donc contrôlé par le pourvoir ecclésiastique. Le manoir se ferme. "L'autorisation spéciale" peut être accordé pour l'installation d'un homme dont le travail est indispensable pour le travail agricole : un laboureur ou bouvier par exemple.
Les hommes du manoir ne payent plus la taxe qui en fait, rachète depuis le milieu du XIIIe siècle le droit de gîte. Mais ils sont sûrement perdants : surtout pour la fourniture du sel. L'abbaye a remplacé la taxe par une aide en nature qui peut être plus lourde pour l'homme (exemple en cas de mauvaise récolte).
Si cette clause est dans le texte, cela veut peut-être dire que les visites sont régulières et fréquentes. L'autonomie des hommes du manoir est donc relative.
Dans le cas d'Hemingford : la grange est en premier lieu un entrepôt que l'on utilise pour stocker les céréales après la moisson . Elle est une partie très importante de l'exploitation. C'est, en effet, souvent le lieu le plus sensible de tout le manoir. Les granges de Ramsey son en fait les greniers à céréales de l'abbaye. Nous comprenons donc pourquoi elle occupe une place importante dans le texte. Elle est un talon d'Achille pour l'économie d'un domaine.
La grange est donc aussi une protection pour la récolte du manoir, mais au-delà les récoltes étant regroupées dans ce lieu, nous pouvons comprendre facilement quels avantages en retire l'autorité : protection, évaluation de la moisson, gestion communautaire plus facile.
largeur : 8 m | 28 pieds |
longueur : 11 m | 39 pieds |
hauteur du plafond au milieu : 3 m | 10 pieds |
Valeur du pied : 30cm 48mm (estimation). Il faut ajouter qu'un coté est rond.
Simulation de la grange d'Hemingford :
Si nous interprétons le texte de cette façon, le volume de la grange est en fait supérieur à 302m3 ! Ceci prouve que le volume de céréale qui peut contenir à l'intérieur est assez important. La spécialité du manoir d'Hemingford peut être la culture des céréales. Nous savons que certaines granges (au sens économique du terme) étaient plus ou moins spécialisées dans telles ou telles activités.
La description précise de la grange, de sa hauteur et de son contenu est important. Grâce à ce document le sergent qui évalue le capital la dernière année à un document de référence : ce document se rapproche d'un accounts rolls, (voir les comptes du manoirde Cuxham en 1275).
La grange est donc un élément important pour l'économie du manoir.
Elle sert de lieu de stockage et donc elle est aussi un endroit sensible et parfois surveillée. Elle est, par ailleurs, un système d'évaluation de la bonne santé de l'économie du domaine. Il est facile grâce à ce type de description de contrôler le rendement et la "productivité" du manoir. Toute la fiscalité s'appuie sur la grange.
Grâce au contrat, le seigneur "n'aliène" pas son domaine (G. Duby) il se décharge de toutes les charges de gestions tout en continuant à percevoir les revenus de sa terre. Le retour dans un mode de faire-valoir direct étant toujours possible.
Réussir à honorer un bail à ferme implique aussi, et c'est là un inconvénient majeur, une gestion "au plus serrée" du domaine : gestion du fumier, choix des jachères, bon entretient des outils de labour pour ne pas trop "dépenser". De plus, la "décharge" du seigneur sur le prévôt accroît les tensions entre les hommes à l'intérieur même de la communauté paysanne.
Les hommes de Cuxham n'ont-ils pas, entre eux, une solidarité plus grande que celle des hommes d'Hemingford ?
Les relations économiques entre l'autorité seigneuriale et la communauté paysanne sont toujours les mêmes. Par exemple : le statut des hommes reste le même, les tensions entre paysans et seigneurs à la fin du XIIIe siècle augmentent. La pression économique, les nouvelles techniques de faire-valoir ont des conséquences sur les relations entre les Hommes.